Le Parlement ghanéen s’apprête à examiner un projet de loi qui vise à restreindre les droits des personnes LGBT+ et à criminaliser leurs défenseurs. Le texte « pour la promotion des droits sexuels appropriés et des valeurs familiales ghanéennes » est présenté comme une manière de protéger l’« identité culturelle » de ce pays très religieux. Mais il est condamné par une partie de la communauté internationale.
Davis Mac-Iyallah, militant LGBT+, se souvient encore des violences qu’il a subies dans son pays natal du Nigeria. L’homme de 49 ans, à la barbe grisonnante, a été arrêté et torturé en 2005 pour avoir dénoncé la discrimination contre les personnes LGBT+. À sa sortie de prison, il a fui Abuja pour chercher refuge au Ghana. Il retrouve la même hostilité qu’il a laissée derrière lui.
« Inhumain »
« J’ai subi des agressions verbales, j’espère et je prie pour qu’on ne me trouve pas et m’agresse physiquement », raconte-t-il à RFI. Pour ce militant, aucun doute, la proposition de loi visant à alourdir des peines pour les homosexuels risque d’ouvrir la porte à l’homophobie, qui se fait déjà sentir au Ghana.
« Des gens ont été traqués, tous ceux qui sont perçus comme étant de la communauté LGBT+. Dans une localité, on a fait venir des chefs traditionnels pour purifier des personnes LGBT+. Ils ont apporté un agneau, versé le sang sur un homme LGBT+. L’homme a été déshabillé devant tout le monde, décrit Davis Mac-Iyallah. Voilà les sortes d’actes inhumains qui se produisent déjà et la loi n’a même pas été adoptée. »
Le projet de loi, présenté au Parlement début août, veut durcir la législation contre l’homosexualité, déjà interdite, mais jamais condamnée dans les faits. Avec cette nouvelle proposition, les peines seraient plus lourdes : jusqu’à cinq ans pour toute personne qui s’identifie en tant que LGBT+ et jusqu’à dix ans de prison pour leurs défenseurs. La loi prévoit également une « obligation de signalement », ce qui obligerait les gens à informer les autorités des minorités sexuelles et de leurs activités ou risquent d’être en infraction pénale.
« Si cette loi passe, mes droits fondamentaux seront considérés comme illégaux », s’inquiète le militant LGBT, qui est aussi le directeur de l’ONG ghanéenne de défense de la diversité Interfaith Diversity Network of West Africa (IDNOWA).
Fermeture du local de LGBT+ Rights Ghana
À l’origine de la loi, l’ouverture en janvier du local de l’association LGBT+ Rights Ghana. Obligé de fermer après une descente de police à peine un mois après son ouverture, le local était censé abriter des activités de soutien aux droits des personnes LGBT+. Une fermeture précipitée par l’indignation des dignitaires religieux et des responsables politiques.
« Ce qui a motivé ce projet de loi, c’est la tentative par certains de promouvoir l’homosexualité dans l’espace public », déclare à RFI Sam Nartey George, un député de l’opposition à l’origine du texte. « Des ambassadeurs des pays occidentaux sont venus au Ghana au moment de l’ouverture de ces locaux de défense des communautés LGBT+. Ils ont voulu promouvoir l’homosexualité, or, chez nous, c’est illégal. C’est pourquoi nous avons décidé qu’il fallait créer une loi pour empêcher la propagande en faveur de l’homosexualité. »
Le projet de loi est actuellement en discussion devant la commission des affaires constitutionnelles, parlementaires et juridiques avant d’être débattu à l’Assemblée nationale. La commission a reçu près de 200 commentaires et recommandations du public, signe de l’importance du texte pour la société ghanéenne.
Le Conseil chrétien du Ghana a notamment exhorté le Parlement à voter pour une proposition qui protège la famille contre les valeurs « non bibliques » dans ce pays où 71% de la population est chrétienne. En revanche, un groupe d’intellectuels et d’écrivains a dénoncé une « violation intolérable de la dignité humaine ».
Une loi importée ?
Malgré quelques signes de protestation, Davis Mac-Iyallah estime que la loi a de fortes chances d’être adoptée. « Je ne pense pas que le Parlement aura le courage de le rejeter. Déjà, certains chefs religieux ont mis en garde des parlementaires contre le risque de perdre leur siège s’ils ne votent pas en faveur de ce projet de loi », relate-t-il. « Je me demande où est Dieu dans tout cela ? Parce que je doute qu’il voudrait que les chefs religieux soutiennent cette méthode de punir nos citoyens et nos semblables. »
Pour le directeur de l’Interfaith Diversity Network, le projet de loi est influencé par l’étranger, notamment par les États-Unis. « En 2019, nous avons reçu la visite au Ghana d’un groupe nommé le Congrès mondial des familles. C’est un groupe anti-LGBT basé aux États-Unis. Lorsqu’ils sont venus au Ghana, ils ont rendu visite à plusieurs parlementaires, et ce sont leurs alliés ici qui sont les principaux instigateurs du projet de loi actuel », raconte Mac-Iyallah avant d’ajouter : « Le langage, le style et la dureté de ce texte ne correspondent pas à l’esprit ghanéen que je connais. »
Des arguments rejetés par le député Sam Nartey George, qui dit ne pas connaître le Congrès mondial des familles et de défendre au contraire un projet de loi qui protège les droits des personnes LGBT+. « L’article 22 prévoit des amendes et des peines de prison allant de trois mois à trois ans pour toute agression verbale ou physique contre les personnes soupçonnées d’être un membre de la communauté LGBT+. Loin d’être une proposition de haine, elle permet pour la première fois aux personnes LGBT de faire valoir leur droit à la compensation », défend-il.
L’homosexualité perçue comme une maladie
La proposition doit d’abord être signée par le président Nana Akufo-Addo qui se trouve dans une position délicate. La loi est plébiscitée par les Ghanéens, dont 97% sont contre des relations homosexuelles d’après un récent sondage du groupe de recherche l’Afrobarometer.
Yaw Amponsah, jeune entrepreneur, confirme les chiffres : « Nous sommes ouverts, mais nous percevons l’homosexualité comme une maladie qui doit être traitée », explique Yaw Amponsah, en référence aux thérapies de conversion proposées par la loi. Le débat intervient au moment où Nana Akufo-Addo essaye d’attirer les investisseurs pour amortir la crise économique qu’affronte le pays.
Cette ancienne colonie britannique a vu une vague de manifestations ces derniers mois contre la vie chère et la corruption sous le hashtag #FixTheCountry. « Alors que nous faisons face à tous ces problèmes, nous estimons qu’un Ghana fonctionnel, où la corruption est minimale, où nos services sociaux fonctionnent est inutile s’il a perdu son identité culturelle », poursuit Sam George. « Ce qui se passe dans l’intimité de votre chambre doit rester privé. Je n’ai rien contre les homosexuels, pourvu qu’ils gardent leur vie privée. Nos enfants doivent apprendre que ce mode de vie est inacceptable. »
Une position aux antipodes de l’image d’un pays tolérant et ouvert que le Ghana renvoie sur la scène internationale et qui pousse Mac-Iyallah à songer à chercher de nouveau un refuge ailleurs. « La situation est déjà difficile pour les personnes LGBT au Nigeria, et désormais le Ghana, un pays démocratique est en passe d’adopter les mêmes lois. Je ne sais pas ce qui va advenir ensuite. »