Après plus de deux ans à la tête de la Côte d’Ivoire, Patrice Beaumelle a quitté ses fonctions au début du mois d’avril, suite à la décision de la fédération ivoirienne de ne pas prolonger son contrat. Malgré la non-qualification au Mondial et l’élimination en huitièmes de finale de la CAN, l’ancien adjoint d’Hervé Renard dresse un bilan positif de son passage chez les Éléphants et en profite pour dénoncer les gros problèmes administratifs du pays. Le technicien de 44 ans passe également en revue les cas Seko Fofana et Hakim Ziyech et déplore l’hypocrisie du président de la FIFA Gianni Infantino envers le continent africain.
Foot Mercato : après deux ans à la tête de la Côte d’Ivoire, vous n’avez pas été reconduit. Quel bilan faites-vous de votre parcours ?
Patrice Beaumelle : un bilan sportif très positif. Quand j’arrive en mars 2020, la Côte d’Ivoire est 3ème de son groupe de qualification à la CAN. Mon idée de base était de nous qualifier. Quelques mois après, on est premier avec 10 points sur 12 pris. J’ai aussi profité du Covid pour aller à la recherche de jeunes joueurs. J’ai réussi à trouver des jeunes comme Kossonou, Diomandé, Sangaré ou Amad Diallo. J’ai fait naturaliser Sébastien Haller, c’était une grande fierté. Pour la Coupe du Monde, on fait un parcours quasiment sans faute, mais ce dernier match au Cameroun nous plombe. On prend 13 points sur 18. Ça a été une déception, mais dans le contenu, c’était bien. Et à la CAN 2021, on n’était pas dans une poule évidente. On finit premier et on sort contre un géant d’Afrique : l’Égypte. On perd aux tirs au but, mais voilà cela fait partie du football. J’ai gagné deux CAN aux tirs au but (ndlr : en tant qu’adjoint d’Hervé Renard avec la Zambie puis la Côte d’Ivoire). Tout s’équilibre dans la vie.
FM : avez-vous le sentiment d’avoir fait progresser cette équipe ?
PB : dans le contenu, j’ai trouvé que notre équipe avait gagné en maturité et en qualité. On a repris notre rang en Afrique et sur la scène mondiale. La Côte d’Ivoire fait un peu plus peur. J’ai eu des commentaires qui me disaient qu’il y a deux-trois ans, l’équipe ne faisait plus peur, mais que maintenant beaucoup pensaient que si on passait contre l’Égypte, ça allait être compliqué de nous sortir. J’ai bossé énormément pendant deux ans. Je restais au pays, j’allais voir tous les matches. Face à la France, j’avais mon équipe type et on fait un bon match. Le nul aurait été mérité. Mais voilà, les petites erreurs de concentration chez les jeunes joueurs se payent. Je l’ai vu durant mes deux ans. Mais j’ai le sentiment d’avoir posé les fondations d’une grande équipe. J’ai aussi la sensation d’une fin inachevée, car je suis arrivé en fin de contrat au moment où l’équipe avait un déclic, de se dire qu’on pouvait faire quelque chose.
FM : avec du recul, qu’est-ce qui vous a manqué pour réussir avec la CIV ?
PM : il a manqué deux choses. J’ai réussi à gagner deux fois la CAN. D’abord, il y a cette part de chance qu’on n’arrive pas à expliquer. Je me souviens avec la Zambie ou la Côte d’Ivoire (2015), on n’est pas très bon, mais on a cette réussite de ne pas prendre ce but ou justement de le mettre. En toute humilité, j’ai fait 7 CAN et celle de 2021 a été la plus aboutie pour moi d’un point de vue maîtrise. Dans le contenu, on était très intéressant avec ce match contre l’Algérie comme référence. En 2015, on fait des matches sans trop maîtriser même quand on gagne. Je me souviens contre l’Algérie en 2015, on gagne 3-1, mais je n’ai pas peur de le dire : on se fait trimballer tout le match. Enfin, l’instabilité de la fédération a beaucoup joué. Mon président, celui qui m’avait fait signer, est décédé. Il n’y a pas eu d’élections derrière et le comité de normalisation ne connaissait pas les rouages du football. On a senti qu’on ne pesait pas dans la balance d’un point de vue puissance de la fédération. On n’avait pas un président charismatique. Par exemple, contre le Cameroun, Samuel Eto’o, qui n’était même pas président, était présent pour ce match décisif. Nous, il nous fallait juste un match nul pour aller aux barrages du Mondial et on avait personne. On s’est senti seul. Pour aller au haut niveau, il faut se sentir épaulé. Augustin Sidy Diallo, paix à son âme, on était sa famille. J’ai le sentiment d’avoir été seul au monde depuis sa disparition.
«Seko Fofana est un garçon fantastique. C’est juste une question de timing. C’est la seule raison. Il avait donné priorité à son club.»
FM : c’était aussi votre première grosse expérience en tant que numéro un après avoir longtemps été adjoint d’Hervé Renard, comment l’avez-vous vécu ?
PB : je l’ai déjà été avec la Zambie en 2013. Je n’ai jamais été un vrai adjoint. J’ai toujours été au fond de moi un numéro un bis. Bien sûr, quand on est adjoint, il faut rester à sa place. Mais j’ai toujours œuvré comme un numéro un en disant à Hervé Renard, je te dis ce que je pense, mais c’est toi qui tranche. La différence maintenant, c’est ce que je dois trancher moi-même. Il faut assumer complètement ces actes, mais j’étais prêt depuis longtemps, j’attendais que ça se fasse. J’avais déjà l’expérience de la Zambie, et quand j’étais revenu en tant que numéro 2 avec Hervé Renard, j’avais bien vu la passerelle entre les deux rôles. La chance que j’ai, c’est d’être capable d’appréhender les deux métiers alors qu’un numéro un ne pourra jamais être adjoint. Moi, je veux rester numéro un car je prends beaucoup de plaisir, mais je n’ai aucun problème avec le poste de numéro deux.
FM : la Côte d’Ivoire possède l’un des meilleurs effectifs d’Afrique, mais avec des joueurs souvent catalogués comme difficile à gérer. Est-ce le cas ?
PB : je n’ai jamais eu de soucis malgré ce que la presse a pu dire, notamment avec Wilfried Zaha. Pour être un joueur de haut niveau, il faut un ego. Ils en ont. Mais par contre, ils vous regardent. Et si vous êtes justes, ils adhèrent. Forcément, parfois ils vous demandent d’être ménagé aux entraînements. Mais il ne faut pas rentrer dans le rapport de force en disant comme certains coaches que si le joueur ne s’entraîne pas, tu ne le fais pas jouer. C’est ma façon de manager. C’est donnant-donnant. Il faut faire un pas l’un vers l’autre. Si tu me dis qu’aujourd’hui, tu es fatigué et que tu ne veux pas t’entraîner à 100%, d’accord. Mais demain, tu seras à 200% pour montrer que tu es présent. Dans cette CAN, j’ai senti Pépé et Zaha combatifs. Haller, c’est un régal, car il est toujours prêt. J’ai pris un plaisir à entraîner ces joueurs. Mon principal problème dans mon aventure, c’est surtout l’administratif.
FM : un cas a aussi fait beaucoup parler, c’est celui de Seko Fofana qui a décliné la convocation de la Côte d’Ivoire pour se concentrer sur sa saison avec le RC Lens…
PB : j’ai de très bons rapports avec lui et depuis l’Udinese car il jouait là-bas à mon arrivée. C’est un homme qui a des valeurs et qui n’a qu’une seule parole. Quand il quitte l’Italie, il est blessé et fatigué. Il signe à Lens et veut faire une saison pleine. Et les clubs français ne voulaient pas libérer leurs joueurs avec le Covid. Il a raté plusieurs matchs. Quand j’échange avec lui, je lui dis clairement que j’ai besoin de lui et qu’il mérite sa place. Il me dit : « coach, je vois les déplacements qu’il y a. Il faut jouer au Mozambique, contre le Malawi et, moi, tous ces voyages, c’est compliqué. En plus, je n’ai pas participé au début de l’aventure et je ne me sens pas prêt. Je souhaite finir ma saison pour après revenir. » Moi, j’ai été honnête avec lui, je lui ai dit que j’arriverai en fin de contrat et qu’il reviendrait peut-être quand je ne serais plus là. Il a rigolé. Il m’avait dit les choses, qu’il voulait donner 200% pour son pays, qu’il avait envie de jouer cette CAN en Côte d’Ivoire uniquement s’il le méritait. C’est un garçon fantastique, c’est juste une question de timing. C’est la seule raison. Il avait donné priorité à son club.
FM : ce choix a été beaucoup critiqué par les supporters ivoiriens qui ne comprennent pas pourquoi la sélection passe après le club…
PB : Seko est déjà venu plusieurs fois en sélection. Il n’y a pas de soucis à ce niveau-là. Dans le football, il faut tenir sa parole et lui l’a fait. Il avait eu le même discours quand les cadres du groupe l’ont appelé justement. Il faut prendre en compte le fait qu’en Afrique pendant le Covid, on a été trimballé. On voyageait partout, il fallait faire des tests et on ne dormait pas. On faisait des vols de 8h à quelques heures des matchs. Rien n’était facilité. Et ça, Seko Fofana le savait et il ne se sentait pas capable, il aurait donné trop d’énergie. Il s’est dit que s’il ne pouvait pas donner 100%, il préférait ne pas venir. Après les supporters, aujourd’hui, ils le critiquent, demain, il rejoue et il fait un gros match et tout le monde aura oublié. C’est comme Ziyech avec le Maroc.
«En Côte d’Ivoire, il y a trop de choses qui sont laissées au hasard. On doit remettre le football au centre. On doit servir le football et ne pas s’en servir»
FM : vous avez fini votre aventure avec deux matches de prestige face à l’Angleterre et le France justement…
PB : de base, je devais aborder ces deux matches en connaissant le nouveau président de la fédération ivoirienne, car les élections devaient avoir lieu avant. Ça aurait pu permettre de voir notre travail. Une semaine avant le match, j’apprends que les élections sont encore décalées. Je me suis dit que je ne parlerais plus de mon contrat. J’ai dit à mes joueurs que je ne savais pas si on allait se revoir, qu’il fallait vivre ces matches comme les derniers. J’ai abordé ces matches pour montrer à nos joueurs qu’ils étaient capables de rivaliser avec les meilleurs. Et on l’a vu contre la France, même si le but en fin de match gâche un peu tout. Mais ça montre aux joueurs que les détails comptent. Et je ne parle pas que pour les joueurs là.
FM : c’est-à-dire ?
PB : je parle aussi de la fédération. Les détails, ce n’est pas que d’un point de vue sportif. En Côte d’Ivoire, il y a trop de choses qui sont laissées au hasard. On doit remettre le football au centre. On doit servir le football et ne pas s’en servir. Par exemple, quand on perd du temps pour faire des VISA, on laisse trop d’énergie. Avant le match de la France, quand tu as 17 joueurs qui passent des journées pour faire des VISA pour partir en Angleterre à trois jours du match… Ce sont des détails qui font que peut-être que sans cette perte d’énergie, on ne prend pas ce but et qu’on marque même à la fin. C’est trop facile d’attaquer les joueurs ou l’entraîneur. Il faut corriger ces détails. Je pense que notre défaite 2-1 face à la France, ce n’est pas sportif, c’est administratif.
FM : ces dernières années, il y a beaucoup de conflits au sein de cette fédération…
PB : l’Égypte n’est pas passée et l’Algérie non plus, mais on a failli voir le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et l’Égypte à la Coupe du monde. Mais il ne faut pas se mentir. Ces équipes se qualifient souvent. D’accord, il y a des bons joueurs chez eux, mais pourquoi la Côte d’Ivoire avec un aussi gros effectif n’a que 2 CAN ? Il faut se poser les bonnes questions, ce n’est pas la faute que des joueurs.
«Ziyech et Mazraoui aiment leur pays et je pense qu’ils souffrent de ne pas jouer pour leur pays»
FM : après le match face à la France, Hugo Lloris avait semblé étonné de ne pas voir la Côte d’Ivoire qualifiée au Mondial. Que pensez-vous du système de qualification ?
PB : je crois que je n’ai cessé de faire des coups de gueule. Je trouve ça trop facile que Gianni Infantino (président de la FIFA) vienne se servir du football africain pour être élu, mais qu’il ne fasse pas grand-chose. Quand tu as 53 fédérations africaines, et que 5 qualifiées… Je ne trouve pas ça normal. Infantino est tout le temps sur le continent africain, car chaque fédération amène une voix. Il vient se servir du continent, mais ne fait rien. Si on veut peser un peu plus, le football africain aurait dû avoir au moins 8 équipes, une dans chaque poule. Pendant toutes ces années où il est venu en vacances en Afrique et je dis bien « en vacances » pour dire que le football africain est magnifique et bien il n’a rien fait. En Europe, tu as quasiment 13 équipes qualifiées. Nous, on laisse des équipes comme l’Égypte, le Nigeria, la Côte d’Ivoire sur la touche. Et quand on me dit que les équipes africaines ne sortent jamais des poules de Coupe du monde. Et bien s’il y avait une équipe dans chaque poule, on aurait plus de chances de sortir. L’Amérique du Sud a 5 équipes pour 10 places. Et en allant régulièrement au Mondial, tu prends de l’expérience.
FM : vous avez évoqué un peu plus tôt le cas Hakim Ziyech. En clash avec son sélectionneur, il n’a plus porté le maillot du Maroc depuis presque 2 ans. Vous l’avez longtemps côtoyé avec le Maroc (2016-2019). Comment jugez-vous cette situation ?
PB : quand je suis arrivé au Maroc, j’étais parti le voir jouer à Twente. J’avais discuté avec lui. Ziyech et Mazraoui sont des joueurs avec du caractère, mais ce ne sont pas des caractériels. Je n’ai jamais vu personnellement ces deux joueurs refuser de s’entraîner. Je ne parle que quand j’y étais, attention. Mazraoui a un talent incroyable, Ziyech aussi. Ce sont des grands joueurs. Pour te donner un exemple, je me souviens de Yaya Touré en 2015. Il avait besoin de récupérer comme il jouait beaucoup avec City. Je lui avais dit : « écoute sur cette séance, j’ai besoin que tu sois à fond, car elle est importante. Mais sur la prochaine, je vais te gérer. » Ce n’est pas un passe-droit. On veut gagner des matchs et si ça peut aider, alors le groupe adhère. Moi, je n’ai jamais eu aucun problème avec Ziyech et Mazraoui. Mais il faut être juste. Je pense que ce problème est en interne. Ils aiment leur pays et je pense qu’ils souffrent de ne pas jouer pour leur pays. Ils ont toujours répondu présent. Le Maroc a besoin d’eux et eux aussi ont besoin du Maroc. Ils ont besoin de vivre ce genre d’émotions dans leur carrière. Mazraoui avait en plus raté la dernière Coupe du monde, il était seulement réserviste. En plus, le Maroc a une belle carte à jouer car c’est ce qui se fait de mieux en terme d’organisation.
FM : le Maroc a pris une grosse place sur le continent africain…
PB : c’est ce qui se fait de mieux d’un point de vue famille et fédération. On sent qu’ils sont très puissants autant à la CAF qu’à la FIFA. Faouzi Lekjaa a pris une place importante. Il pèse et cela doit se ressentir aussi sur les participations à la Coupe du monde. Je ne dis pas que la qualification se joue administrativement, mais que la structure en place est efficace. Les infrastructures aussi. C’est une grosse entité, une grosse institution.
FM : quelle est la suite pour vous désormais ?
PB : je ne vis que pour le terrain moi. Ça s’est joué à peu que je reprenne la sélection de l’Égypte il y a quelques semaines. Je ne sais pas pourquoi ça ne s’est pas fait honnêtement (rires). C’était quasi bouclé, mais au dernier moment, ils ont fait le choix de prendre l’entraîneur du Pyramids FC, le club égyptien. Je lui souhaite le meilleur. C’est un géant d’Afrique qu’il récupère. Sinon, tout est possible, j’ai des sollicitations sur les cinq continents. Je profite un peu du temps pour ma famille, mais je réponds aux sollicitations et je veux faire le bon choix pour grandir footballistiquement encore.
nk